Séance 3 – histoire des représentations

Séance 3. 14/02/2018. Teresa Malinowska[1] (Paris 10) et Ksenia Smolović (Paris 1)

Les représentations de la Pologne et de la Serbie (XVIᵉ-XIXᵉ) : une nouvelle approche pour l’étude de la politique intérieure française

L’histoire politique renouvèle ses problématiques dans la seconde moitié du XXe siècle. À partir des années 1970, elle opère sa véritable réhabilitation dans le monde universitaire[2], grâce à des travaux d’historiens tels que René Rémond sur les droites en France[3], Maurice Agulhon sur la culture, l’imagerie et la symbolique politiques au XIXe siècle[4], François Furet sur la révolution française considérée dans le temps long[5], Pierre Rosanvallon sur le suffrage et la représentation politique[6], ou encore Jean-Philippe Genet sur la pensée et la culture politique de l’Angleterre médiévale[7]. L’histoire politique intègre désormais dans sa démarche des réflexions d’ordre culturel, économique et social. Et cette approche multidimensionnelle du politique inclut aussi l’histoire des idées et l’histoire des représentations. L’ouvrage collectif Images des peuples et histoire des relations internationales du XVIe siècle à nos jours, dirigé par Robert Frank et alii, insiste ainsi sur le rôle des images et de l’imaginaire dans l’histoire des relations internationales, où les images de l’Autre sont à la fois facteurs et reflets des transformations. Pour l’aire géographique qui nous intéresse, plusieurs ouvrages peuvent inspirer nos recherches. Citons Inventing Eastern Europe de Larry Wolff[8]. Il y met en avant la construction de « l’Europe de l’Est » au XVIIIe siècle, projection des Lumières occidentales sur une partie de l’Europe mal connue. Citons aussi Imagining the Balkans, de Maria Todorova[9], qui construit le balkanisme : regard de l’Occident sur les Balkans, sur le modèle de l’orientalisme d’Edward Saïd[10].

La première étude de cas s’est focalisée sur la place de la République de Pologne dans le débat qui oppose tout au long de l’époque moderne les défenseurs de la monarchie absolue aux tenants de la monarchie mixte ou modérée. L’analyse de trois séries de deux textes qui se répondent ouvertement met en évidence l’émergence de deux représentations  ̶  une positive et une négative  ̶  de la République sarmate. Ces images correspondent aux opinions politiques des auteurs étudiés, ce qui en fait une clé de lecture valide pour l’analyse de la pensée et de la scène politique française, d’autant plus intéressante qu’elle n’a pas encore été entièrement exploitée.

La seconde étude de cas s’est proposé d’étudier les débats parlementaires, qui nous renseignent sur les réactions du milieu politique français face à la troisième crise d’Orient. L’intervention de Louis Blanc à la Chambre des députés le jeudi 13 juillet 1876, notamment, met en évidence les représentations françaises de la situation serbe. Dans cette discussion, les réponses approximatives du ministre des Affaires étrangères poussent Louis Blanc à des accusations qui dépassent le cadre de la crise d’Orient. Derrière les critiques des positions du gouvernement dans la crise d’Orient se cachent en effet des affrontements intérieurs, sans rapports avec les conflits dans les Balkans. Louis Blanc critique ainsi les pratiques du gouvernement et le compare à un régime monarchique. Ksenia a mis en avant d’autres exemples de discours qui ont pris prétexte de la situation dans les Balkans pour critiquer la politique française. Ainsi, les discours sur la Serbie, ou, plus généralement, sur les Balkans, sont un moyen original de sonder les représentations de la scène politique française.

[1] Conférence donnée dans le cadre du projet 2016/23/N/HS3/00376 financé par le Centre National des Sciences (Pologne). Conference given in the framework of the project 2016/23/N/HS3/00376 financed by the National Science Center, Poland

[2] Voir notamment Poirrier Philippe, Les enjeux de l’histoire culturelle, Paris, Seuil, 2004, p. 283-284.

[3] Rémond René, La Droite en France de 1815 à nos jours, Paris, Aubier, 1954.

[4] Voir par exemple (et de façon non exhaustive) : Agulhon Maurice, La République au village, Paris, Plon, 1970 ; Agulhon Maurice, 1848 ou l’apprentissage de la République (1848-1851), Paris, Le Seuil, 1973 ; Agulhon Maurice, Marianne au combat. L’imagerie et la symbolique républicaines de 1789 à 1880, Paris, Flammarion, 1979 ; Agulhon Maurice, Marianne au pouvoir. L’imagerie et la symbolique républicaines de 1880 à 1914, Paris, Flammarion, 1989 ; etc.

[5] Voir notamment ses deux ouvrages sur la révolution française : Furet François, Penser la Révolution Française, Paris, Gallimard, 1978 ; Furet François, La Révolution. De Turgot à Jules Ferry. 1770-1880, Paris, Hachette, 1988.

[6] Voir par exemple : Rosanvallon Pierre, Le Sacre du citoyen, Paris, Gallimard, 1992. Sur l’approche de l’auteur, voir notamment : Schnapper Dominique, « Rosanvallon (Pierre) – Le sacre du citoyen, Histoire intellectuelle du suffrage universel en France. [compte-rendu] », Revue française de science politique, 1994, 44-2, p. 334-336.

[7] Genet Jean-Philippe, La genèse de l’Etat moderne. Culture et société politique en Angleterre, Paris, PUF, 2003.

[8] Wolff Larry, Inventing Eastern Europe: The Map of Civilization on the Mind of the Enlightnenment, Stanford, Stanford University Press, 1994.

[9] TODOROVA Maria, Imagining the Balkans, New York, Oxford University Press, 1997.

[10] SAÏD Edward, Orientalism, New York, Pantheon Books, 1978. Sur les débats autour de cet ouvrage, voir SIBEUD, Emmanuelle. « Post-Colonial et Colonial Studies: enjeux et débats », dans Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. n°51-4bis, n°5, 2004, p. 87-95.